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MASTER DIDACTIQUE
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2 novembre 2010

didactique de l'écrit

Le haïku : un genre planétaire

lundi 19 juillet 2010 , par Jean-Marcel Morlat

Dans cet article qui complète les autres écrits déjà publiés sur le même thème, il s’agit de replacer le haïku dans le contexte qui l’a vu naître, le Japon, afin de mieux montrer comment il s’est mondialisé pour devenir une forme qui dépasse les frontières et qui s’est particulièrement bien implantée dans le monde francophone. Une meilleure compréhension de cette forme poétique et de son évolution à travers le temps permettra de faciliter son introduction dans le cadre d’un atelier d’écriture en classe de Français Langue Etrangère.


1. Le haïku : un genre japonais

Il nous faut souligner le fait que le haïku est par-dessus tout un véritable phénomène au Japon, une pratique institutionnalisée et parfaitement codifiée, régie par des règlements, des associations et des concours, qui touchent tous les milieux sociaux de la société, puisqu’il y a même un concours destiné aux salarymen, les employés de compagnies. [1] Cet intérêt vient en fait de très loin, comme le souligne, Louis Aubert, un voyageur français du XIXème siècle : « Depuis le mikado jusqu’au plus modeste paysan, en passant par le boutiquier de Tôkyô, il n’est pas un Japonais qui n’ait écrit ses trente et un vers ou ses dix-sept vers sur la lune, la neige, les fleurs. […] lorsque les pruniers ou les cerisiers sont en fleur, les gens de toute classe, sous la neige des pétales que détache le vent aigre du printemps, composent des vers qu’ils suspendent aux branches. » [2] Avant d’aller plus loin, commençons donc par définir ce qu’est un haïku :

HAIKAI (HAIKU). « Plaisanterie amusante », type de poème très court, en 17 syllabes (trois vers de 5, 7 et 5 syllabes) constituant la première partie (hokku) d’un poème classique waka ou renga, de style libre. Les petits poèmes de ce genre furent d’abord appelés haikai-hokku, puis par abréviation, haikai ou haiku. Cependant, certains furent continués par d’autres poètes avec deux vers de 7 syllabes chacun, pour former des séries appelées haikai no renga. On en vint alors à appeler haikai ces « poèmes enchaînés » alors que la forme première du hokku (5, 7 et 5 syllabes) considérée comme un poème isolé fut appelée haiku. Mais c’est là une subtile distinction et on applique généralement les termes de haiku et de haikai à tous les poèmes de trois vers comportant 17 syllabes. [3]

Le haïku est donc un poème court qui doit obligatoirement être ancré dans le monde physique et comprendre un mot dit ‘de saison’ (kigo), autrement dit un mot qui fait référence à une saison, à la nature (glace, neige, ciel, arbres) et à l’environnement. Comme le note Louis Frédéric : la brièveté, dans les poèmes japonais, n’est précisément possible que parce que chaque mot, le plus souvent lié à une vie quotidienne balisée, avec références aux saisons, aux sentiments les plus courants, aux sensations élémentaires, à un environnement immédiat, veut dire autre chose que ce qu’il dit le plus directement. Toute une culture du double langage, de la contrainte, de l’aveu dérobé a rendu possible cette communication poétique. [4]

Ce poème s’écrit généralement en un instant, sans travail de construction conscient et laborieux pour sa première écriture, car la spontanéité est importante : c’est l’expression d’une épiphanie : Ces poèmes descriptifs, comme pouvaient l’être les waka, doivent suggérer une idée, un fait, une impression fugitive, et permettre au lecteur ou à l’auditeur de réfléchir sur la signification profonde des mots composant le poème. Un des plus typiques des haikus est celui de la poétesse Kaga no Chiyo-jo […] :

Yu no Hana o Fleurs du soir Maroû Tsutsumu ya Délicatement caressées : Oboro Tsuki La lune se voile. [5]

Le haïku classique est classé en cinq catégories liées aux saisons : printemps ; été ; automne, hiver et nouvel an. Sa forme répond à des canons bien précis. Il tire ses origines des joutes poétiques du Moyen Age et c’est dans la seconde moitié du XVIIème siècle qu’il fut développé par le poète Basho [6] :

Tout d’abord considéré comme un amusement, le genre ne commença de compter parmi les « poèmes sérieux » que vers le début du XVIIe siècle, bien que les haijin (poètes du haikai) fissent librement usage de mots et d’expressions généralement bannis des waka classiques. Un des premiers poètes qui popularisèrent le genre fut Matsunaga Teitoku (1571-1653), qui n’hésita pas à utiliser dans ses compositions de nombreux haigon (mots qualifiés de « non-classiques »). Mais son approche étant encore considérée comme trop formelle, d’autres poètes comme Nishiyama Sôin (1605-1682) constituèrent une nouvelle école de haiku, appelée Danrin. On raconte que Ihara Saikaku aurait, par jeu, composé ainsi 23 500 vers de haiku en vingt-quatre heures, à Ôsaka. Mais le poète qui donna véritablement ses lettres de noblesse au genre fut Matsuo Bashô. Il fut suivi par une pléiade d’autres poètes parmi lesquels figurent en bonne place Uejima Onitsura, Konishi Raizan, Yamaguchi Sodô…

Les Bashô Jittetsu ou « dix grands disciples de Bashô » contribuèrent également à élever la composition des haikai à la hauteur d’un art. De nombreux artistes se mirent alors à illustrer ces poèmes d’images alors appelées haiga. Des mouvements divers de réforme des haikai se produisirent alors de temps à autre parmi les poètes pour revenir à la pureté du style de Bashô, illustrés notamment par Yosa Buson, Iwama Otsuni (1756-1823) et Kobayashi Issa. [7]

Dès la fin du XIXème siècle, le haïku a été propulsé dans la modernité, ce qui l’obligea à se redéfinir pour mieux coller au monde contemporain : « En 1892, Masaoka Shiki, voulut établir une nouvelle école de « haikai modernes » selon laquelle les sentiments suggérés devraient être puisés dans la vie quotidienne. Les poètes naturalistes, symbolistes, prolétariens ou romantiques tentèrent, chacun avec l’approche qui lui était propre, de produire des haiku, avec plus ou moins de bonheur, et publièrent leurs œuvres ou trouvailles dans la revue Hototogisu puis, à une date plus récente, dans celle intitulée Nihon. » [8] De même, le haïku moderne respecte moins les règles que le haïku classique et est souvent moins impersonnel ; on se contente alors d’une alternance court, long, court. De plus, comme ne manque pas de nous le rappeler Corinne Atlan, il est en phase de renouveau au Japon, dans la mesure où il tente de répondre aux aspirations et aux sensibilités de l’homo japonicus Nous reprenons ici le titre du livre de M. Jolivet, 2000, Homo japonicus, Arles, Picquier, 586 p. il s’agit d’une étude sociologique particulièrement réussie des hommes japonais dans leur milieu professionnel. Cette expression concerne autant les femmes que les hommes dans notre cas. d’aujourd’hui : « Désormais, le Japon partage les références culturelles de l’Occident. Parallèlement, le haiku déborde des frontières japonaises et se voit adopté par des poètes de toutes nationalités ». [9] Philippe Pons, le correspondant du journal Le Monde au Japon, rejoint les propos de Corinne Atlan : « Le haïku est d’abord un éveil à sa propre langue, à la nature, explique-t-il. De talentueux poètes japonais cherchent à inventer un haïku à vocation planétaire afin qu’il s’adapte à des sensibilités nouvelles. Après, à chacun de trouver sa respiration personnelle en puisant dans un patrimoine commun à tous. » [10] En fait, le renouvellement littéraire de cette forme aux règles fixes, est déjà largement entériné par de nombreux écrivains japonais et par des haïkistes du monde entier qui ne les ont pas attendus pour adapter le genre à leur sensibilité, à leur culture et surtout à leur langue et qui représentent également un nouveau public, principalement dans les mondes francophone et anglo-saxon : « A l’étranger, il participe d’une quête de nouveaux modes d’expression poétiques. » [11]

2. Le haïku francophone

C’est avec le retour des premiers voyageurs français au Japon que naît un engouement pour les nouvelles formes poétiques inspirées du Japon et que l’on assiste à ses balbutiements en France. Patrick Blanche nous remémore cette époque héroïque : « dès la fin du XIXe siècle le terrain est prêt, le terreau à point pour que le haiku s’implante. » [12] ; on ne s’étonnera donc pas que Paul-Louis Couchoud [13] publie un recueil qui s’intitule Au fil de l’eau en 1905, après avoir passé neuf mois au Japon. C’est l’un des célèbres devanciers, avec ses amis André Faure et Albert Poncin. Julien Vocance [14] :

[…] nous sommes aux environs de l’année 1900. Quelques amis, tous étudiants, se réunissent périodiquement, rue Champollion, dans la chambre de l’un d’eux, Paul-Louis Couchoud, qui, titulaire d’une bourse de la fondation Khan, revient d’un voyage autour du monde, imprégné, ébloui, parfumé de son contact avec les anciens maîtres, sages et poètes du Japon. Tout en nous offrant du saké dans de minuscules tasses nippones […] tout en déroulant des précieux kakémonos rapportés de là-bas, il nous dévoile les beautés de Bashô et de Buson, nous initie à la sensibilité japonaise, nous explique ce qu’est le haïkaï, et, entre les trois noms qui désignaient alors cette forme de poésie, choisit celui qui devait bientôt prévaloir définitivement.

Et voilà comment, dans un Paris que n’encombraient pas encore les autos, et chez ce futur philosophe au masque tourmenté de vieux bonze extrême-oriental, au front raviné et puissant, où […] se forma, de la plus authentique, de la plus indiscutable façon, le premier groupe de haïjin français.

Il y avait là entre le maître de maison, le sculpteur Albert Poncin, futur auteur du Monument des quatre fils Aymon, […] le peintre André Faure, mort prématurément des suites de la guerre ; Hubert Morand, ancien Normalien, comme Couchoud lui-même, et qui devient plus tard critique au Journal des Débats ; votre serviteur enfin qui n’était encore qu’aspirant rond-de-cuir […].

En 1905, [15] trois des compagnons susvisés, Couchoud, Faure et Poncin, encore tous pénétrés des longues causeries d’antan, décident de faire en péniche un voyage d’excursion sur les canaux français. Un bateau, chargé de sucre, va partir, nullement agencé, croyez-le bien, pour transporter même des passagers de la plus humble classe, même des vagabonds. Qu’importe ? On s’arrange avec le patron. Une sorte de niche est aménagée entre les caisses de sucre, pourvue d’une bâche, de quelques couvertures et bottes de paille. Et c’est la lente glissée sur la Seine, le canal du Loing, […] le canal de Briare qui recèle les écluses abandonnées de Rogny […] et voici comment de la plus béate façon, fut exécuté le premier transport sur les canaux de trois gars français qui s’étaient fait des âmes de poètes japonais […].

Ce recueil non commercialisé est publié à trente exemplaires et passe de mains en mains, victime de son succès. L’original a certes disparu, mais ces poèmes ont influencé les poètes de l’époque : « les vers […] sont à l’évidence d’une très grande qualité, au point que ceux de leurs contemporains qui ont eu la chance de les lire ont été frappés. Jamais réédités malgré cela, ils expliquent l’intérêt que les écrivains français ont porté au haïku par la suite ». [16] C’est pourtant dans les années vingt que le haïku commence à s’imposer dans certains cercles littéraires. Ainsi, Julien Vocance, [17] publie des haïkus qu’il a écrits dans les tranchées, durant la guerre 14-18. Le recueil Cent visions de guerre nous donne à lire des poèmes émouvants et douloureux, tout comme ceux de Maurice Betz (1898-1946) en 1921 [18] :

Une mitrailleuse ensanglantée Avant de mourir a déployé Son éventail de cadavres [19]

Jean-Richard Bloch (1884-1947), un autre rescapé des tranchées, facilite l’aventure de La Nouvelle Revue Française en 1920, dont le dossier sur les haïkus assure la postérité du haïku en France, tout en influençant les animateurs de la revue champenoise Le Pampre (1922-1926) et les animateurs de différentes publications érudites qui voient alors le jour : La N. R. F., bien entendu, n’est pas la seule à accueillir le haiku ; les autres revues ne sont pas en reste. René Maublanc se dépense beaucoup pour le faire connaître : publication dans « La gerbe » de Nantes, où il note dans l’introduction : « Loin de toute littérature et de toute vaine éloquence, des impressions brèves élémentaires, fortes et hachées (…) La haïkaï (…) doit nous aider à fixer l’infiniment petit et l’infiniment subtil ». Maublanc publiera en 1923 une anthologie et une bibliographie du haiku français dans la revue « Le Pampre ». Suivront d’autres articles dans d’autres revues. En 1924 il fait paraître son recueil « Cent haïkaïs » aux éditions du Mouton Blanc. [20]

Des traducteurs comme Michel Revon et Georges Bonneau et de fameux poètes comme Paul Éluard et Paul Claudel s’essaient aussi au haïku ; Paul Eluard n’a écrit que onze haïkus, qui lui ont pourtant assuré un véritable destin de haïkiste [21] :

À moitié petite Une plume donne au chapeau La petite Un air de légèreté Montée sur un banc La cheminée fume

L’année 1924 voit la publication de « Sur des lèvres japonaises », par Kikou Yamata, un recueil de traductions de Bashô et de Buson préfacé par Paul Valéry qui, bien que dépassé et désuet, contribue grandement à la reconnaissance du haïku en France : « Je m’attache instinctivement dans votre anthologie à ce qu’elle contient de plus proche, et qui est pure et simple poésie (…) les petites pièces que vous nous offrez sont de l’ordre de grandeur d’une pensée. Parfois cette pensée se réduit si gracieusement à une expression d’une simplicité absolue qu’elle peut se confondre à quelque frisson, à un murmure, au passage d’un parfum dans le vent ». [22] En 1927, Paul Claudel, le digne fondateur de l’institut franco-japonais de kyôto, qui représente alors la France en tant qu’ambassadeur à Tôkyô, publie « Cent phrases pour éventail ». Comme l’explique Patrick Blanche : « Chaque phrase est calligraphiée au pinceau par le poète ; il renoue ainsi avec la tradition graphique japonaise où le haiku s’adresse tant à l’œil qu’à l’oreille. Claudel reste le seul, à ma connaissance, à avoir tenté et réussi cette expérience. » [23] Reprenons certains de ses poèmes [24] :

Dans la forêt Trébuchant sur mes sandales de bois Sur une tombe abandonnée j’essaye d’attraper Une lanterne blanche le premier flocon de neige

René Maublanc, dans sa préface du livre d’Henri Druart, Pincements de cordes (1929), évoque pour son compte la difficulté d’écrire des haïkus en français : Le haïjin n’a pas l’appui commode de la tradition ; les artifices de la forme ne sauveraient pas pour lui l’indigence du fond ; il faut qu’il ait quelque chose à dire, et qu’il sache le dire avec moins de mots possibles. Or il est toujours plus facile de délayer que de condenser. Un bon haïjin a le sens éveillés. Il est sensible aux moindres nuances de la nature, sensible à des rapprochements, à des transferts imprévus. [25]

Au Canada francophone, Simone Routier (1901-1987) et le montréalais Jean-Aubert Loranger [26], célèbrent le genre, jetant les bases d’un vivier fertile, le succès des haïkus au Canada n’ayant d’ailleurs jamais été démenti depuis. [27]La deuxième moitié des années trente n’est pas une période très florissante pour le haïku : « cette popularité n’eut qu’un temps ; après ce premier apogée il semble que le haïku tombe dans une certaine léthargie, il n’est cependant pas complètement abandonné, ça et là des voix s’élèvent, des murmures se font entendre. Jean Mariabere écrit ses « Sténogramme » entre 1937 et 1938, quarante poèmes qui seront publiés à Casablanca en 1955, dans une édition hors commerce et complètement oubliée de nos jours [28] :

Le ciel se renfrogne Quelques points s’allument Comme un chien qui rêve, au loin, rouges dans le ciel : Qui sait Le tonnerre grogne si les anges fument ?

Après la seconde guerre mondiale, en 1951 plus précisément, les Cahiers du Sud consacrent un numéro au haïku, permettant au peintre Conrad Meili [29] de présenter ses tercets [30] :

Ayant accroché une fleur Dans sa confusion La main de l’aveugle tremble

Finalement, dans les années soixante-dix, l’intérêt pour le Zen et l’influence de la Beat Generation, sous l’égide de Jack Kérouac, sont tels que l’on voit fleurir de nombreuses publications dédiées aux haïkus : Ce n’est pourtant que vers les années 60, 70 qu’un regain d’intérêt fera de nouveau s’épanouir le haiku. Il est probable que plus que les écrits de Vocance alors oublié, ou que les phrases de Claudel, ce renouveau s’est fait sous l’influence d’écrivains américains comme Jack Kerouak dont la traduction des « clochard célestes », dédié au poète chinois Han Shan, paraît en 1963, ou, comme un peu plus tard, Gary Snyder qui renoue avec les anciennes traditions poétiques chinoises et japonaises ; enfin le philosophe bouddhiste Alan Watts y contribuera aussi avec son essai sur le zen dont la dernière partie est illustrée de nombreux tercets.

À la même époque, Maurice Coyaud, Jean Cholley (1940-2007), René Sieffert et Alain Kevern traduisent eux aussi différents ouvrages, ce qui permet de populariser le genre, alors que Roland Barthes écrit également de très belles pages sur le haïku après son voyage au Japon. Dans les années quatre-vingt, André Duhaime connaît un grand succès au Québec, alors que Patrick Blanche peine à publier ses poèmes en France, même si les revues spécialisées et les éditeurs japonais ne dédaignent pourtant pas son travail. On voit, il est vrai, fleurir ici et là des sites Internet, dont celui de Serge Tomé [31] en Belgique. La création de l’Association Française de Haïku par Dominique Chipot et Daniel Py, aura un rôle fédérateur pour les haïkistes d’Europe et d’ailleurs. De même, la revue Gong dédiée au haïku a popularisé le genre, tandis que différents festivals ont été organisés depuis 2004. Comme l’écrit Eric Dussert : « Aujourd’hui, le haïku fait fureur en France, si l’on peut dire. On serait bien mal de dénombrer les auteurs qui s’essayent, avec plus ou moins de réussite, à cette contraignante prouesse. » [32] De même, comme le rappelle Louis Frédéric : « Au XXe siècle, la vogue du haiku dépassa les frontières du Japon et de nombreux poètes étrangers, en anglais et en français principalement, s’essayèrent à la composition du haiku (alors appelés « épigrammes »), influençant quelque peu l’art occidental de la poésie. » [33] Philippe Pons résume parfaitement le phénomène : « Expression s’il en fut de la sensibilité japonaise, le haïku […] est-il en train de perdre sa « nipponicité » pour devenir un genre de poésie aux dimensions planétaires ? » [34] C’est ce que semble également suggérer Raymond Jean, dans la préface d’un livre fort intéressant : ce qui est inattendu, et en un sens, merveilleux, c’est la présence du haiku dans la poésie française la plus moderne. Ainsi, ce genre, issu de la culture japonaise la plus profonde […] fleurit tout naturellement dans une poésie occidentale contemporaine qui, lasse des excès et des abondances du langage de plusieurs siècles de lyrisme, choisit de se placer sous le signe de la brièveté. [35]

La sortie d’un film d’animation, Jours d’Hiver [36], montre en tout cas tout l’intérêt suscité par le haïku par de nombreux artistes du monde de l’animation, comme le fait remarquer Jacques Mandelbaum : Quel rapport entre le haïku, forme poétique japonaise, et le dessin animé ? Ce film d’animation collectif, coordonné par Kawamoto Kihachirô et réalisé en 2003, permet de le comprendre. Ce dernier a, en effet, choisi un poème d’un pionnier du haïku (Matsuo Munefusa, dit Bashô, 1644-1694) et a proposé à trente-six cinéastes d’animation du monde entier d’en illustrer un fragment. Pourquoi trente-six ? Parce que cette forme poétique comporte des strophes de trente-six chaînons rédigés les uns à la suite des autres par plusieurs auteurs. Jours d’hiver est ainsi l’illustration de la première strophe du poème du même nom, dont chaque vers, cité par un carton, introduit le bout de film qui lui correspond. [37] Il est également intéressant de voir que le genre est maintenant enseigné à l’université ; Muriel Detrie enseigne en effet un cours concernant les haïkus à l’Université de Paris III, « Du haiku japonais au haiku francophone ». Comme le précise André Delteil : la pratique de cet exercice verbal de sagesse, de précision et de tension n’est sûrement pas sans relation secrète (et quelquefois—on l’a vu—avouée) avec la discipline des formes brèves qui semble si fortement dominer (et réguler) tout un espace de la poésie française moderne. C’est dire que les cultures dialoguent, qu’elles se rencontrent et se retrouvent au-delà des siècles. [38]

Le roman de Maxence Fermine, Neige, [39] un petit livre d’inspiration japonaise, a également donné un certain éclairage au haïku, tout en montrant l’intérêt d’un écrivain français pour le genre ; il devrait d’autant plus intéresser les personnes qui animent des ateliers d’écriture qu’une adaptation théâtrale a été réalisée récemment par Stéphanie Loïk au Théâtre Artistic Athévains [40], donnant un deuxième vie théâtrale à cette œuvre, ce qui souligne une fois de plus toute la modernité et l’intérêt de cette forme poétique, qui inspire des artistes venant d’horizons différents : acteurs, danseurs et aussi créateurs venant du monde des dessins animés. Le spectacle « Haîkus : parcours choréographiques », monté par la compagnie de danse Les Décisifs, dans le cadre des 25èmes Journées Européennes du Patrimoine « Patrimoine et création », qui ont eu lieu le vendredi 19 septembre 2009, à Chaumont, participe également de ce phénomène : « Ici, les deux danseuses, dont Clara Cornil, et leur musicienne s’inspirent des haïkus. De ces courts poèmes japonais naissent des séquences écrites sur l’instant, en fonction du lieu, de la lumière, du paysage ou des œuvres exposées. » Voir le spectacle « Haîkus : parcours choréographiques », monté par la compagnie de danse Les Décisifs, dans le cadre des 25émes Journées Européennes du Patrimoine « Patrimoine et création » le vendredi 19 septembre 2009, à Chaumont.

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